Nous dormons proche d’un village, dans la forêt car fatigués nous cherchons un peu de tranquillité. Une vingtaine de gamins rappliquent aussitôt pour nous observer. Ils s’assoient dans la pénombre et nous regardent sans piper mot, religieusement. Soudain, alors que nous préparons la popote dans le silence de la forêt, un pet incontrôlé mais puissant résonne dans le public. Silence gêné. Robin réagit « Et ben oh eh dis donc! » Éclat de rire général, fou rire. 

Pendant le quart d’heure qui suit, les pets fusent de toute part dans l’assistance.


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Nous nous arrêtons sur un pont prendre une photo. Cinquante mètres plus loin des militaires nous arrêtent pour nous faire la morale : ils gardent le pont et nous aurions dû leur demander permission. Mais vite leur attention est détournée par nos vélos. On explique qu’on a démarré à Nairobi, et que l’on va sûrement jusqu’à Cape Town. Estomaqué, le trouffion. S’adressant à Robin, il désigne Faustine (il arrive que par politesse, les hommes ne s’adressent pas directement à elle) : « Et celle-ci, c’est ta sœur? » « Non, femme » «  Ah oui, mais elle fait tout le trajet avec toi? » « Ah ça oui, c’est vélo pour tout le monde. » « Oh je croyais qu’elle prenait le bus! » il poursuit en se marrant « Tu n’es pas bon avec ta femme. Elle devrait être à la maison à s’occuper de la cuisine et des enfants! » 

[Ndlr : ne pas se méprendre sur le sens du propos. Il ne s’agit pas de récriminer Faustine, mais bien de la plaindre : alors qu’elle pourrait être heureuse à la maison, son muffle de mari la traîne des mois à vélo à travers la savane... ]


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Bord de route, à chaque village : « Where to? » « Cape Town » « Where from? » « Nairobi » « Oh you people.... »


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Deux grosses mammas nous courent après, criant et agitant les bras. « Stop ! We want to greet you! » Nous ne pouvons malheureusement pas nous arrêter à chaque fois que l’on nous fait cette demande, sinon nous serions encore au Kenya. Mais de temps en temps on prend le temps de discuter. Et puis le soleil s’approche de l’horizon, alors on demande si l’on peut planter la tente à côté de la maison. Comme d’habitude c’est oui, tout naturellement, comme si cela était prévu depuis toujours. Les enfants nous encerclent et nous observent silencieusement pendant que nous montons le camp. Robin s’étire les cuisses. « Hahaha regarde ça, tous les gamins se foutent de ta gueule !» lui fait remarquer Faustine avec délicatesse. En effet c’est la franche rigolade devant ce spectacle incongru. On continue de s’affaire sur notre campement. Un quart d’heure plus tard nous apercevrons tous les enfants alignés dans le fond de la cour, en équilibre précaire sur un jambe, en train de s’étirer consciencieusement les quadriceps.


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Bord de route : « Ah! Ah! Ah! Aaah! AAAAAAAAAAAHHH!


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Arrivée à Lusaka, capitale Zambienne. Nous sortons de centaines de kilomètres de savane, entrecoupés de villages en terre battue et toits de chaume, quelques champs où l’on cultive maïs, manioc, cacahuètes. Les gens sont toujours dehors, ensemble - en famille, entre voisins. La bonne humeur règne, la vie est paisible et simple. Dure, aussi : travail physique pour tous et toutes, pas de confort, et le risque de voir un aléa climatique (inondations, sécheresse) plonger tout le monde dans la tourmente. A quelques dizaines de km de Lusaka, changement de décors. Des clôtures bordent la route, protégeant des champs en monoculture s’étirant à perte de vue, où tournent tracteurs et rampes d’irrigation. Puis peu à peu des immeubles, des centres commerciaux. La route passe à deux puis trois voies. L’espace est saturé de publicités gigantesques (« Airtel : You too can make the dream possible », « Monsanto : seed your success », « PetFish (Z) LTD : Get your ornamental fish for affordable price »), chacun roule dans sa voiture personnelle. Nous entrons dans la ville qui a réussi : celle qui a pu suivre le modèle de développement occidental.


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Nous prenons une auberge pour deux jours à la capitale. La femme à la réception nous donne une serviette et nous tend cinq savons. « Oh c’est bon, un seul ça suffira ! » Elle nous regarde en arquant le sourcil et retroussant la lèvre en un air effaré « For two days? Serious??? » Alors soit ils ont une manière différente de la notre d’utiliser le savon, à Lusaka. Soit vraiment, on est trop crasseux.


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Une vieille Mama, bord de route : « Oooh baby you look so niiiiice! »


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Nous plantons la tente chez Rezine, devant la maison et même sous la fenêtre : comme ça « si il y a quoi que ce soit on peut le voir et accourir tout de suite ». Les enfants viennent nous saluer, posant un genou à terre devant Faustine « How are you, Ma’am » puis Robin « How are you, Sir? ». Avant le repas Rezine reçoit un coup de fil. « C’était ma maman, qui habite dans un village voisin. Elle m’a interdit que vous dormiez dehors, vous dormirez dans le salon ». Mais la tente est montée dehors, et puis on veut pas gêner, argumentons-nous. « Si jésus vient frapper à votre porte, vous restez à discuter sur le pas de la porte, où vous le faites rentrer ». Nous ne sommes pas sûrs de cerner tous les tenant et aboutissants de cette métaphore christique - mais il semble que l’argument soit imparable. Nous dormirons dans le salon.

Au repas, c’est Nsima. Comme d’hab. Cette pâte de farine de maïs (appelée Ugali en Swahili) est la base de l’alimentation ici. « Vous mangez du Nsima chez vous? » « Non, ça n’existe pas » Rezine nous regarde incrédule : « Oh... But how can you survive?? » Pour elle c’est nsima le matin avec le thé, le midi, et pis le soir. « C’est grâce à ça que l’on est si gros et forts! Allez maintenant il faut tout manger » Faustine cale avec panache à deux portions, Robin arrive héroïquement à en manger trois, Rezine s’en envoie quatre sans broncher. 

On continue de parler ripaille. « Chez nous les chèvres nous servent pour le lait, mais on ne les mange pas comme ici » explique-t-on. « Mais pourquoi ça ? C’est votre tradition ? » « Euh . . . oui en quelque sorte! » « Eh bien... Cette tradition est vraiment mauvaise! »

Le lendemain Résine nous a préparé un plein sac de graines de maïs, de cacahuètes et de légumes verts, à planter chez nous pour que nous puissions bien manger. « Et peut être qu’un jour votre président vous autorisera à manger les chèvres. Alors vous verrez que c’est un plat très bon et goûteux. »


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Régulièrement depuis quelques jours, alors que nous nous arrêtons demander une information, s’adressant à Robin avant que nous n’ayons pu formuler quoi que ce soit : « Hello, you are looking for a hair cut? » 

Bon bon bon....