Nous passons deux semaines au bord du lac Malawi chez Kumbukani. Nous l’aidons à nettoyer son terrain en échange du gîte et du couvert. Quelques temps avant notre arrivée nous lui avions conté nos mésaventures mécaniques avec le guidon de Faustine, pour savoir s’il était possible d’envoyer chez lui une pièce depuis l’Europe. Il nous avait répondu « Ne vous inquiétez pas, tout va s’arranger par le pouvoir de Jah ».

Car Kumbukani est rasta. Depuis quand ? « Hmm... oui... depuis avant que je sois né ». « Ah oui d’accord! Tes parents ils sont rasta? » « Hmmm... Oui... Mais simplement, ils ne le savent pas. »

Être rastafari implique de fumer des joints en écoutant du raggae, mais pas seulement. C’est une religion fondée sur l’ancien testament, dont le prophète est le roi Selasie Ier d’Éthiopie. Ce monarque du siècle dernier a permis à son pays d’être le seul d’Afrique à échapper à la colonisation et a lutté toute sa vie contre la ségrégation et pour l’égalité des peuples. La philosophie générale du mouvement rastafari prône la tolérance, la lutte contre l’oppression et le fumage de pétards (la ganja est considérée comme bénéfique pour l’esprit).

Le samedi c’est sabbat : pas de travail, journée cérémonie. Nous accompagnons Kumbukani au « tabernacle » du secteur, édifice circulaire ouvert aux quatre vents où a lieu la cérémonie. Les rastas arrivent par petit groupes, s’annoncent au cri de « Jah! Rastafari ! ». S’assoient devant le tabernacle et roulent des joints purs dans des feuilles de maïs. L’un des chefs de cérémonie a une pipe à eau confectionnée dans une noix de coco. « Vous connaissez ça? » « Boah on a peut-être une petite idée, mais explique nous! » « C’est une pipe avec laquelle on fume l’herbe. Cela apprend à allonger son souffle, et donc cela permet d’allonger la vie. Car le souffle, c’est la vie. » « Ah dis donc, c’est top! » « Oui, et cela aide aussi à soigner l’asthme. Vous voulez essayer? » Nous avons tous deux été bien élevés, nous avons la politesse chevillée au corps : nous ne pouvions pas refuser. Après un beau travail du souffle, Robin s’enfonce dans le sol sourire aux lèvres. « Elle est bien, cette religion. »

Kumbukani nous a donné les consignes pour la cérémonie : cheveux couverts et robe obligatoire pour Faustine, pantalon pour Robin. On tourne dans le tabernacle dans le sens des aiguille d’une montre car c’est le sens de circulation du sang dans le corps. Tout le monde peut parler quand il le souhaite.

On se déchausse à l’entrée du tabernacle. Tout le monde est rentré et nous attend, mais Robin, l’esprit voguant sur une autre planète, commence à soigneusement déplier ses chaussettes. Avec lenteur et application, il cherche la position dans laquelle elles prendront idéalement le vent et le soleil, sous l’œil étonné des rastas. « Euh Robin c’est peut-être pas le moment là ?! » Revenant brusquement à la réalité « Ah oui oups bon bon bon ».

Trois rastas mènent la cérémonie, lisant des textes de la bible ou des discours de Selasie. Quand l’assistance s’endort un peu, donc à intervalle régulier, l’orateur lance « Hailé I ! Jah! » auquel l’assistance répond en cœur « Rastafari ! Selasie I! » Il nous faut parfois être debout, alors que nous rêverions d’être dans un hamac. Robin aperçoit Faustine du coin de l’œil qui chancelle puis bascule sur le côté « Oh dis, elle est encore plus stone que moi, elle se fait des auto croche patte » Mais de son côté Faustine a la vue qui se rétrécit, les lumières qui forment des taches, jusqu’à ce que - clic! - plus de lumière à l’étage du haut. Elle tombe par terre. Oui oui : elle s’étale de tout son long en pleine cérémonie, évanouie. Le temps que l’information monte au cerveau de Robin, et qu’il se précipite à ses côtés avec Kumbukani, elle est revenue à elle. « Oh ben eh dis, qu’est ce qu’il se passe? » « Ne t’inquiète pas, ça arrive quand on reste longtemps debout » dit Kumbukani. Peut-être que le traitement pour l’asthme a aussi un rôle, dans cette histoire. 

On sort du tabernacle, on a gagné le droit de suivre le reste de la matinée depuis l’extérieur. Les rastas sont bienveillants et ils défilent pour venir vérifier que tout va bien, nous dire de nous sentir à l’aise. Le teint de Faustine passe du vert au jaune puis reprend petit à petit des couleurs plus convenables. On observe la drôle d’équipe danser en cercle et chanter au son des tambours pendant plusieurs heures. On n’est pas fâchés d’être allongés dehors à l’ombre d’un arbre.


La pause du midi est l’occasion de partager tout ce qui a été amené à manger par chacun, mais aussi bien entendu ce qui a été emmené à fumer. On reste à distance : on commence à peine à recouvrer nos esprit. Nos acolytes eux, continuent de soigner leur asthme avec application.


L’après midi, on repart pour des tours de tabernacle. Plus personne n’écoute les lectures, les esprits voguent dans d’autres dimensions. Comme dans toute cérémonie, ce que l’on préfère ce sont les chants et danses. Mais Faustine se fait interdire la participation : les femmes elles regardent mais ne dansent pas. Bienveillants les rasta, mais pas féministes.


En repartant, une femme que nous croisons dans le village nous interpelle. « Je vous ai vu passer ce matin, vous ne rentrez que maintenant? Vous vous êtes baladés dans les montagnes toute la journée? » « Non on était à la cérémonie rasta! » « Ah bon c’est votre religion? Jah! Rastafari!! »