Nous montons la tente en haut d’un col, en bord d’une piste déserte. La vue sur la vallée est superbe et nous avons même à disposition une table de picnic. Le soleil approche de l’horizon, la soirée commence au poil.


Nous voyons monter du bas du col un nuage de poussière annonciateur d’une grosse jeep. Eh ben merde y a encore des types qui passent à c’t’heure là ?! Le gars s’arrête et nous demande si on est sérieusement en train de vouloir camper là. « C’est super dangereux, il y a beaucoup de lions et d’éléphants. Je suis guide dans ces montagnes, je sais de quoi je parle. » « Ok on va voir, merci Monsieur pour vos conseils ». « Non non non vous n’allez pas voir : vous ne pouvez pas rester là, il faut partir. »

Ohé comment ça qu’on va pas voir? On commence une petite réunion avec délibération sur la suite du programme à court terme. Car si on veut décamper il s’agit de ne pas traîner. Tu crois qu’il nous raconte des saucisses ou il sait de quoi il parle? Et si on rentre direct dans la tente sans manger, pas de risque, non? Si il revient et qu’on est toujours là, on a pas l’air un peu con? Et si on se fait manger, là aussi on a l’air con non?


Mais voilà que déboule une voiture de police.  Le camping sauvage est interdit en Namibie, les flics devraient donc nous aider à prendre notre decision. « Bonsoir bonsoir, oulala est-ce que c’est bien ce que je crois? Vous comptez dormir ici? » « Ah nonon Monsieur l’agent, on y a bien pensé à un moment donné, c’est vrai. Mais on nous a dit que c’était dangereux donc on était justement sur le point de partir. » « Très bien. Vous pouvez continuer 4 ou 5 km, retrouver la plaine, là bas c’est plus sûr. Ici c’est farci de lions, de hyènes, d’ éléphants, de tigres.* On veut pas qu’il vous arrive quelque chose! »

En fait d’une voiture de police, c’est un panier à salade : 5 ou 6 malfrats sont coffrés à l’arrière.** A travers la petite fenêtre, les truands participent aux débats. « Ah oui il faut pas rester là ! Vous voyez ces deux montagnes de part et d’autre de la route? Les falaises sont trop à pic pour les animaux, la nuit il empruntent tous ce couloir où vous avez mis votre tente! »


C’est ralant mais on ne va pas forcer le destin, on plie les gaules. Dans la plaine, on monte un nouveau campement en bord de route. A peine commence-t-on à preparer le repas que l’on voit fondre sur nous les phares d’une jeep. (Oh mais ils se sont tous donné rendez-vous dans la brousse ce soir ou quoi? Cette piste déserte est une vraie autoroute) « Faites gaffe aux lions et aux éléphants! Si vous voulez rester ici faites au moins un petit petit feu. Rien qu’un tout petit feu, pour tenir les bêtes éloignées. »

On fait un petit feu, et on apprécie la pleine lune : si les éléphants arrivent on les verra venir.


On se couche dans la tente. Au loin on entend les éléphants barrir. Chouette, avec un peu de chance on les verra demain. Puis soudain dans le silence, résonne un profond et puissant rugissement. On se fige, on retient notre souffle en se regardant sans rien dire. Et puis comme le silence est revenu et que l’air nous manque, on échange à voix basse ces quelques mots : « Oh merde fait chier putain y’a vraiment des lions oh! ». Pendant une heure, de sourds grognements nous parviennent, ayant pour effet immédiat de nous faire monter en flèche le rythme du palpitant. Ça veut dire quoi un lion qui rugit? Sûrement qu’il a bien mangé et qu’il grogne de satisfaction. A moins qu’on soit sur son territoire et que ce soient des cris de sommation du style « partez sur le champs ou je vous mange! » ? Oh et ces sales petits cabots qui ont pissé partout sur notre tente il y a quelques jours! Est-ce que l’odeur viendrait chatouiller les narines de notre compagnon de ce soir?


Finalement au bout d’une heure le silence s’installe définitivement. Cette nuit, personne ne sort de la tente pour un petit pipi à la belle étoile.






 * Les tigres vivent en Asie, il n’y en a pas sur le continent Africain. Pourtant nous sommes régulièrement alertés sur la dangereuse présence de tigres.


 ** Il est tout a fait possible que la police fasse office de bus, et que les jeunes types a l’arrière soient de simple passager. Mais dans l’intérêt de notre récit, nous avons préféré retenir l’hypothèse des bandits.