Rossella n’est pas originaire de Calabre mais elle y vit depuis ses 20 ans, âge auquel elle est tombée amoureuse de la région et d’un calabrais (dans cet ordre). Elle s’achète alors une maison en ruine dans le village « fantôme »de Pentedattilo, qui offre une vue sur la mer et la Sicile toute proche. Fantôme car comme dans beaucoup d’autres villages calabrais, les habitants ont petit à petit abandonné les rues étroites et escarpées des bourgs anciens, au gré des relogements consécutifs aux nombreux tremblements de terres et inondations qui ont frappé la région au siècle dernier.

Mais revenons à nos chèvres et Rossella qui, elle, a choisi le chemin inverse. Durant quarante ans, elle retape puis loue durant l’été la maison de Pentedattilo en même temps qu’elle travaille et vit quelques dizaines de km plus au nord, dans l’exploitation agricole de son compagnon Calabrais. Compagnon et non mari, la nuance a son importance, déjà parce qu’elle dénote d’une certaine liberté d’esprit dans la société paysanne traditionnelle de Calabre. Mais surtout, quand un soir son compagnon ne revient pas, victime d’un crise cardiaque en campagne, Rossella n’a plus aucun droit légal sur leur ferme, leur maison commune, leurs terres. Et la belle famille ne compte pas céder ne serait-ce qu’un doigt de ce qui leur appartient désormais de droit.

Après quelques mauvaises histoires, Rossella retourne alors à Pentedattilo. Mais ici il n’y a pas de place pour les chèvres et les cochons! Alors, avec des amis allemands, elle achète une ferme en ruine et un terrain en friche à 15 minutes à pied du village. A 60 ans, elle se lance dans la reconstruction de la maison et à redonner vie à ces terres à l’abandon. Les choses à faire ne manquent pas! Zviou, zviou, les idées turbinent dans la tête de Rossella qui ne sait parfois plus par où commencer. 


Avec Kiki et Djoudjou, deux allemandes qui sont également là pour quelques semaines, nous sommes d’abord embauchés à la récolte des olives : c’est la saison, tout le sud de l’Italie est occupé par ce grand labeur. Rossella n’a pas d’oliviers, mais comme il n’a pas plu cette année et que « les olives ne sont pas plus grosses que des crottes de chèvres », certains grands propriétaires agricoles considèrent qu’il n’est même pas rentable de récolter et permettent à Rossella de le faire pour son propre compte. Sa consommation personnelle est de 100 à 150 litres par an (oui, sa cuisine est relativement nourrissante - et on l’a dit, l’huile d’olive il n’y a que ça de vrai pour la santé). Notre objectif est donc de lui faire son stock. La technique est relativement basique, il s’agit de poser un filet au sol puis de tabasser l’olivier (à coup de bâton ou de râteau) jusqu’à ce qu’il concède de laisser tomber ses fruits. Nous aidons ensuite aux amandes, à retaper la maison, à labourer les champs (a la pioche car l’âne n’a pas encore été acheté), nettoyer les cochons, ... 

Les chèvres en revanche n’ont pas besoin de nous car Maka, berger malien d’une vingtaine d’années, veille sur elles. Il vit avec Rossella depuis plus d’un an, après avoir traversé le Sahara, l’Algérie, la Libye, la Méditerranée. Fort comme un malien, il vous secoue un olivier de la tête au pied en moins de temps qu’il nous en faut pour monter sur une branche. Il faut dire qu’avec nos mains de scribouillards et nos épaules taillées pour taper sur un clavier, notre efficacité au travail des champs est limitée. Rossella se moque gentiment de nous, « jeunes de la ville ». Elle en vient aussi régulièrement à se demander ce qu’on a dans le cibouleau. Exemple, Kiki remet en question le fait de brûler des quantités énormes de cette herbe envahissante alors qu’elle pourrait peut-être servir de paille pour les bêtes. « Mamma mia! Je ne devrais pas avoir à vous expliquer des choses comme ça, ça saute aux yeux si vous vous donniez la peine de regarder, vous ne voyez pas que cette paille est trop dure ? Madonna ! Vous à la ville vous faites des études pendant des années mais vous ne voyez pas l’évidence ! ». Nous deux, sur ce genre de terrain miné et sachant qu’un sujet sérieux comme celui-ci peut vite enflammer la soirée, nous adoptons une position de prudente neutralité « oui on aurait pu croire que ça ferait un bonne paille, mais effectivement : elle est dure ».

Les mois passés en vélo nous ont permis de nombreuses mais brèves rencontres. On apprécie donc d’autant plus de créer des liens et une complicité plus forte, de se sentir un peu chez soi. Entre les parties de cartes animées par Maka (interdit de prendre plus de 2 secondes avant de poser une carte), les journées à trier les olives au soleil ou les fins d’après-midi à cuisiner tous ensemble, nous avons la chance de rester une nouvelle fois à l’écart du virus.


Après ce mois de « confinement » c’est décidé, cette fois on part à l’aventure : Noël pour nous se fera au Kenya!