7h00  Le réveille sonne. Il fait un froid de canard. Robin se lève rallumer le feu de la veille. Faustine reste un peu dans son duvet, histoire de bien analyser la situation.


7h45 On se réchauffe comme on peut sur le feu en buvant un thé. Les premiers rayons de soleil sont délicieux. On se remplit le ventre avec de l’avoine.


8h00 Comme tous les matins depuis un an, Robin se talque méticuleusement les pieds : plante, talon, cou, orteils, rien n’est négligé. Comme tous les matins depuis un an, il le fait sous le regard moqueur de Faustine que cela fait toujours beaucoup rire. Elle sait pourtant qu’il ne faut pas dépasser certaines limites. Une grève du talc aurait de terribles conséquences car les pieds de Robin ont un puissant pouvoir olfactif. Son grand-père dit à ce propos, avec l’air d’extrême gravité qu’il affecte lorsqu’il conte un fait historique majeur : « Ce petit, quand il est sortir du ventre de sa mère, ses pieds sentaient déjà le bouc. Incroyable ! » 

En voyage en tente et à deux, c’est un sujet sérieux. Une très stricte vigilance est nécessaire.


Nous rangeons et chargeons les vélos. Même sans trainer il est difficile de partir plus tôt.


9h00 Les premiers coups de pédale viennent confirmer ce qu’indiquaient nos fanions: le vent est contre nous. Notre moyenne journalière a drastiquement baissée depuis que nous sommes dans des pistes. Face au vent, faire cinquante kilomètres peut être une très grosse journée. Avec un village (c’est à dire une station essence entourée de quelques cahutes) pour se ravitailler tous les cinq jours, nous sommes lourdement chargés. Heureusement nous croisons presque tous les jours une ferme ou un pickup pour remplir nos 15 litres d’eau.


Les pistes sont dans l’ensemble très belles et bien entretenues. Mais régulièrement des petits passages sableux nous forcent à poser le pied à terre et pousser.


10h12 Nous croisons la première voiture de la journée. Des sudafs en pickup avec tente sur le toit : le classique. Ils nous offrent oranges et pommes.


11h45 La faim commence à accomplir son insidieux travail : grignoter notre bonne humeur. Robin, qui a pris du large à l’avant, s’arrête pour une pause.

Faustine arrivant la mâchoire serrée : “Tu aurais pas pu t’arrêter avant? “ “Oh ça va! je voulais juste atteindre le haut de cette bosse” “Oui ben c’est bon t’énerve pas.” Robin, avec une voix mielleuse excessivement calme : “Excuse-moi mais j’ai pas l’impression que ce soit moi qui m’énerve là. Moi je suis pas énervé.” Et Faustine de reprendre en criant “ OUI ET BEN MOI NON PLUS JE SUIS PAS ÉNERVÉE! “


11h50 On reprend la route, en ruminant à 20 m l’un de l’autre. Faustine la mâchoire toujours serrée “ Insupportable sa petite voix, genre monsieur est toujours zen alors que je vois bien qu’il fume intérieurement” et Robin faussement détendu “haha l’autre eh! Dire je suis pas énervée en criant, ha! Alors que moi au contraire je suis vraiment hy-per-calme. C’est fou à quel point je suis calme! On croirait bouddha.”


12h30 Une seule chose à faire : pause déjeuner. “Qu’est-ce qu’on a ce midi?” “Riz - pois cassés” Ah oui comme hier soir, hier midi, avant hier soir. Chouette.


13h00 “Bon tu sais je crois que j’était un peu énervé en fait. J’aurais dû t’attendre avant.” “Nonon c’est ma faute, j’aurais pas dû crier” “Non je te jure c’était à moi d’être plus attentif, pardon!” “Non mais je t’assure j’aurais dû être plus patiente, j’espère que tu m’excuses.” [...]


13h30 De nouveau sur la piste. Les paysage sont immenses. Dur d’estimer les distances à l’œil. Cette montagne, elle est à 2 km ou à 10? S’il n’y a pas un arbre pour nous donner une échelle, pas moyen de savoir.

On croise nombre d’oryx et autres antilopes, des chacals et des renards du Cap, des mangoustes et des suricates, . . . 


14h45 Seconde voiture de la journée. Un énorme 4x4 sans toit, remplis d’hommes en treillis de tous âges. Ils nous saluent virilement. L’un arbore une casquette avec l’inscription “God, Guns, and Trump” sans aucune trace d’humour.


15h30 Le vent tombe, on roule dans ces immensités désertes avec un sentiment de plénitude.


16h00 Troisième et dernière voiture. Couple sudaf. Ils s’arrêtent - “We loooove crazy people!” - nous ouvrent une bière et repartent.


16h30 On essaie de s’arrêter tôt pour éviter de croiser un léopard. L’ideal est de tomber sur un lit de rivière à sec : on est sûr d’y trouver du bois et on est à couvert. “On pourrait s’arrêter là non?” “Boah on a un peu le temps quand même” “Oui ben toi tu as jamais peur mais quand le lion gronde dehors tu fais moins le malin” et toc, c’est visé juste.


16h45 On monte la tente. Robin va chercher le bois pour le feu que Faustine allume.


17h45 Tout est en ordre, le feu allumé, le riz qui cuit, nos lit sont faits. Petite douche avant de manger. 20 cl chacun : l’eau est précieuse. Avec un gant de toilette ca permet de décrasser. On finira les parties sensibles avec des lingettes pour bébé.


18h12 “Oh non Robin! T’as pété?!” “Eh non qu’est-ce que tu raconte pas du tout pourquoi tu dis ça?” “Et ben parce que ça sent l’oeuf pourri et que c’est pas moi” “Nonon mais ça doit être les racines là qui puent” “ Oui les racines, sûrement.” 

Nous n’aurons pas le fin mot de l’histoire. En revanche une chose sur laquelle nous tombons d’accord : les racines de Camelthorn Tree au feu, ça pue.


18h30 Le soleil passe sous l’horizon, la température chute et nous rentrons dans la tente avant que les bêtes ne sortent.


19h30 Grognements autour de la tente. “Tu crois que c’est le léopard ?” “Je sais pas, il y a pas des bruit de sabots aussi?” “Ah oui tiens! Ca colle pas avec le leopard ça. Phacochère?” “ Peut-être oui! Bonne nuit!”


19h37 “Quand même, c’était bien ces 7 mois en Afrique hein?” “Oui tu as raison : c’était sacrément bien.”