Les cheminée fumantes dans les villages, la nuit qui vient à 18h, le givre qui s’installe sur notre tente les matins... Les indices concordent : il semble que les beaux jours soient derrière nous! Nous y trouvons surtout des avantages. Moins de lessives : transpirant moins, nous pouvons remettre nos t-shirts plusieurs jours. Par pudeur, nous de donnerons pas de chiffres ici (pour notre défense sachez que les t-shirt en laine de mérinos ne sentent pas mauvais, c’est écrit à décath’). Des nuits de rêve : à 19h le repas est prêt, à 21h ça ronfle. Toujours plus de pauses au bistrot, la conscience tranquille : on peut bien prendre un canon en attendant que passe l’averse. Évidemment il existe quelques inconvénients: la pluie glacée qui vous gèle jusqu’à l’os, le moral (qui comme chacun sait, est inversement proportionnel au produit du nombre de millimètres de pluie tombée par le nombre d’heures sans manger) qui, donc, chute brutalement, les affaires détrempées et les extrémités congelées,... 


C’est par une de ces froides et humides journées que nous attaquons le col forca di Presta, dans la région de Norcia. La première partie donne accès à une plaine d’altitude, sorte de steppe à 1200 m coincée entre les montagnes. Le ciel est trop bas et la pluie trop froide pour que nous puissions apprécier réellement ce paysage pourtant hors du commun. Nous attaquons la seconde partie sans même avaler quelque chose. Nous avons trop froid à l’arrêt dans cet environnement où rien ne permet de s’abriter. Erreur de débutant évidemment! La seconde moitié du col est dure, les rafales de vents redoublent. Pour couronner le tout, un comité d’accueil nous attend en haut : cette fois ci ce n’est pas un mais cinq patous protégeant un troupeau qui nous encerclent et nous aboient dessus pour nous effrayer - c’est réussi. On finit les derniers mètres à pieds, pas fiers, se demandant comment on va affronter la descente - pire que la montée dans ce genre de conditions météo.

Le berger vient nous parler. Seuls ses yeux sont visibles derrière son attirail contre la pluie et le froid. On ne comprend rien à ce qu’il dit - peut être parle-t-il un dialecte. Plus par flemme que politesse, Robin fait semblant de tout comprendre - “si, si, certo!” - à grand renfort de sourires entendus. Faustine, impatientée par ces amabilités, commence à réenfourcher son vélo pour descendre s’abriter. Il faut admettre que l’on se sent sacrément idiots quand nous comprenons que le berger nous propose depuis 5 minutes de venir s’abriter chez lui. Mais une fois comprise, une proposition de ce genre ne se refuse pas! Nous allons à l’abri pendant que notre pauvre berger revient à ses moutons. “Il nous a proposé de rester dormir ce soir c’est ça?” “Ah moi j’ai compris qu’il nous proposait juste de s’abriter le temps que la pluie s’arrête” “On comprend vraiment rien à ce qu’il raconte” “Ouais ça doit être un type de la montagne qui parle un genre patois” “ Bon on a qu’à rester là ce soir” “Ouais”.

A son retour, après que la pluie ait cessé et à la nuit tombante, il semble content de nous trouver là. On attaque la préparation du repas ensemble. Comme on se fait des politesses sans jamais trop savoir ce que l’autre souhaite réellement, toutes nos victuailles et ses provisions finissent dans la marmite, pour un superbe festin. Mais quelque chose cloche : il ne comprend pas des mots simples comme mouton ou montagne que nous venons de chercher dans le dictionnaire. Notre accent italien est exotique mais quand même... “Tu viens d’où?” “Albanie” Tout s’explique! Notre montagnard ne parlant que patois est un albanais des plaines. Les conversations de la soirée doivent ressembler à un sketch pour rital : deux français et un albanais qui communiquent dans un langage qu’ils pensent être de l’italien mais qui a probablement peu de choses à voir. Durim a le grand talent de savoir dire énormément de choses avec un nombre extrêmement limité de mots. On comprend son parcours - père de deux enfants venant gagner un salaire à envoyer à sa femme et ses parents, en faisant un travail si rude que seuls les émigrés l’acceptent - avec un total de mots utilisés pouvant se compter sur les doigts de nos mains. Nous passons une belle soirée avec cet hôte providentiel, et lui trouve un peu de compagnie au milieu de sa solitude. 

Au matin il nous fait un grand feu avant de repartir dans le froid. Nous, un peu penauds, comme deux enfants, le regardons partir en se serrant auprès des flammes.

Nous profitons d’une éclaircie de fin de matinée pour redescendre, réchauffés et pleins de forces, par une route superbe nous offrant des vues sur les monts Sybillins et la mer Adriatique.