Nous voici dans le village de pêcheurs d’Ikola, bien plus au nord que ce que l’on espérait en cherchant un bateau. Mais notre carte papier indique une piste nous permettant de couper vers notre destination, en passant quelques dizaines de kilomètres dans une réserve mais nous évitant un long détour. Bizarrement elle n’apparaît pas sur les cartes informatiques. Le papier, ça a du bon!


Dans les collines au-dessus du village, une piste un peu misérable part sur la droite. Nous avons la chance de croiser deux jeunes à vélo « Ipolomelo, c’est par là ? » « Oui oui, venez on vous accompagne un moment! » La piste se transforme rapidement en sentier, nous serpentons entre les champs de maïs puis en descendant, les rizières. Une multitude de sentiers partent dans des directions diverses, comment aurions-nous fait sans nos deux guides? Mais ils doivent nous laisser : « Maintenant c’est tout droit! »


Cinq cent mètres plus loin, première intersection. Nous apercevons une maison où nous pouvons demander notre route, la famille est réunie à l’ombre pour le tri des cacahuètes. Tout le monde se concerte, un consensus se crée : pour Ipolomelo, c’est tout droit. Nous repartons chargés de cacahuètes. Mais rapidement il nous faut faire des choix entre les différents sentiers, à l’instinct et à la boussole (en clair : au pif), en l’absence d’interlocuteurs. 


Le chemin est de moins en moins praticable, boueux car bordé de rizières inondées. On n’avance pas, on est encore très loin du compte. Quelqu’un passe « hmmm, Ipolomelo? Tout droit. » Puit vient Alphonse, la soixantaine (notable ici car la population est très jeune), parlant un bon anglais - ce qui est un petit miracle dans ces coins assez reculés. Nous lui exposons ce que nous souhaitons faire, la route qui coupe par Ipolomelo. « Non il n’y a pas de route dans cette direction. Par contre il existe peut être un autre accès par le sud, très difficile. Venez chez moi ce soir vous reposer. » 


Nous le suivons, arrivons dans un village. « Il faut d’abord que je passe prévenir le chef du village que j’ai des visiteurs, venez. » Nous sommes invités à nous asseoir, le chef s’enquiert de notre projet. Des hommes et des femmes rejoignent le cercle, discutent entre eux. Une carte est tracée au bâton dans le sable, à l’appui des discussions. Alphonse nous traduit. Ipolomelo n’est pas un village, il n’y a pas de maison, c’est un secteur mais il n’est pas possible de le rallier depuis ici : la piste s’arrête à la rivière . Pour rejoindre la route principale comme on le souhaite, il y a une autre option. Très très difficile, c’est un sentier utilisé par des bergers pour mener leur bétail au grand marché de Sumbawanga. Il faudra probablement au moins deux jours jusqu’au prochain village. Porter souvent les vélos, car nous sommes en saison de pluies et c’est très boueux. traverser de nombreuses rivières à guet. Beaucoup pousser car c’est très raide. S’orienter dans la brousse luxuriante qui fait disparaître les chemins à cette saison. Très très difficile. Nous avons pour seule cartographie de ce périple celle dans le sable devant nous, qui semble quelque peu manquer de précision. Bon bon bon, on va peut-être abandonner le projet de couper par la réserve. On n’a plus qu’à retourner au lac!


Mais avant ça nous passons la nuit chez Alphonse. Il vit avec ses trois femmes - une dans chaque maison - et ses enfants. Ici pas d’électricité ni bien sûr d’eau courante, mais pas non plus d’engins à moteur, pas même les motos. Les sentiers sont trop étroits et trop boueux, les rivières à traverser sont trop nombreuses. Elles n’accèdent ici qu’en saison sèche. Les déplacements se font à pied, donc. Les seuls véhicules utilisés sont les vélos car ils peuvent être portés. Et cela tombe à pic car nous avons choisi de voyager à vélo. 

Le matin nous quittons Alphonse : « Passez saluer le chef de village, dites lui que vous avez bien dormi chez Monsieur Alphonse ». Le chef nous adjoint un guide pour notre retour au lac, car nous allons vers un autre village et le chemin est un vrai bourbier.


Nous sommes de retour au lac. Le « district officer » (allez savoir ce que ça veut dire) nous invite chez lui et nous trouve une barque qui part dans deux jours vers le sud. Nous partagerons les frais d’essence.


Deux jours et quelques bières sous les cocotiers plus tard, nous partons au premier chant du coq. Un seul autre passager dans cette petite barque, un Tanzanio-Dubaïote cherchant du pétrole. À ce propos, beaucoup de gens dans cette région pensent que nous sommes chinois (bon ça on ne sait pas pourquoi, peut-être les cheveux de Robin), mais surtout ne veulent pas croire que nous nous baladons simplement : nous serions en train de chercher, sous couvert de balade, des pierres précieuses. Il doit y avoir un filon...

Nous sommes dans notre barque donc, qui a le même moteur que le cargo. Cette fois-ci, ça pousse! Pas de chance, aujourd’hui il y a de la houle. A l’avant, les vélos et Robin prennent des vols, retombent violemment, se font sévèrement botter le cul par la petite barque. Et clac, le guidon qui re-casse! Et ce coup-ci pas moyen de bidouiller, il va falloir trouver un moyen de ressouder.

Nous arrivons à Kipili. Le mécano du village est en vadrouille, il ne doit rentrer que demain au plus tôt. En attendant, on est contraints de reprendre une bière sous les cocotiers.